Fiction ou réalité ?

Ce qui hante l’Humain, c’est bien de ne pas savoir…

De ne pas avoir de preuve de l’existence d’un monde après la mort.

Tel un Chaman, l’Artiste ne peut-il pas servir de connexion entre ces deux mondes  ?

A moins qu’il ne soit qu’un charlatan créateur de fiction  ?

Dans mon travail, même si au départ, il s’agit d’ images révélant le quotidien d’une réalité banale, le choix des cadrages, de la mise en scène ou des titres va orienter une certaine narration empreinte de mystère et ouvrant à la potentialité d’un monde parallèle. En tentant une matérialisation des invisibilités, les œuvres, d’une facture réaliste nous questionnent sur la limite entre ce que nous percevons et ce que nous voyons.

Maurice G. Dantec, réactualisant ce «  Réalisme fantastique  » se désigne comme étant un «  Ultra Réaliste  ».

C’est un peu la formule dans laquelle je me retrouve, à la recherche d’ un «  au delà du Réalisme  ».

La Science fiction d’aujourd’hui n’est-elle pas la réalité de demain  ?


Une mythologie personnelle?

Les œuvres restent ouvertes à la polysémie, au mélange des cultures et les références religieuses de tous bords peuvent côtoyer la Mythologie ou le quotidien dans une sorte de « bricolage Mythologique  »

Des Monothéismes aux Polythéismes, les références religieuses traversent mon travail . Ainsi, dans la série « Nuit blanche » , le modèle semble endormi. Serait-ce Morphée, Dieu du sommeil dans la Mythologie  Grecque ? D’autant que lorsque l’on se rapproche, le traitement de la surface semble figurer le gigantisme du Cosmos. L’infiniment grand serait-il simultanément infiniment petit ?

Pourtant, une ambiguïté s’installe… Et s’il ne s’agissait pas de tableaux Mythologiques ?

Le drap blanc qui recouvre le corps ne s’apparenterait-il pas au linceul de Jésus ? Dans l’un des tableaux de la série, le point de vue en raccourci rappelle le Christ de Mantegna . Le visage se rapproche d’un masque mortuaire…

Le corps figuré serait-il un cadavre ?

On en doute car les couleurs chaudes qui se diffusent «  auratiquement  » du personnage contrastent avec la blancheur livide de carnation habituellement admise dans la représentation du transit. Alors, le sujet ne serait-il pas en train de rêver ?

Mais rêver à quoi ?

Peut-être rêve t’il de cet après midi d’anniversaire que nous avons passé au bord d’un lac près de Perpignan ? Moment qui a alors donné la série «  des baigneurs  ». La beauté idéale , l’apaisement qui se dégage de l’image ne serait-elle pas propre à l’idée que l’on peut se faire du Paradis? Moment de pur bonheur, c’est une vision dans laquelle le corps trouverait légèreté et apesanteur.

Et s’il ne s’agissait pas d’un rêve ?

D’où pourraient venir ces images ?

Si en fait il s’agissait d’un sens profane ?

Le titre « Nuit blanche », nous ramène de facto à la réalité et se pose en contradiction avec la figure endormie. Si l’on observe certains détails dans la série, comme c’est le cas d’un rouleau de papier toilette posé sur une table de nuit, ainsi que des morceaux de papier utilisés et froissés posés au sol, on comprend soudain la source de ce profond sommeil…

Le spectateur est invité à se construire sa propre narration. Dérouté par la polysémie, il ne sait plus à quel Saint se vouer  !

On le voit, tout s’entrecroise, il y a polyvalence du sens, hybridation des références qui peuvent être l’une et l’autre à la fois. La narration qui en ressort n’est pas univoque mais il s’agit d’une fiction ouverte à la pluralité.

Mon travail se joue de la sémiologie.


Dévoiler l’invisible

«Peindre le flou», nous dit Michel Makarius dans son « Histoire du flou » « c’est rendre la frontière entre le visible et l’invisible incertaine (…) C’est matérialiser l’idée que la transcription parfaite du monde visible est vouée à l’échec. Il y a dualité entre la volonté d’une expression qui irait à l’encontre de la mimésis et la nécessité de conserver la ressemblance. C’est une  figure écartelée entre apparition et disparition, entre présence et effacement  ».

Dans la série « Que sommes-nous », les limites de la forme semblent se dissoudre rendant la frontière entre fond et forme intangible. Puisant dans les anciens albums de famille, je vais choisir des images que je vais froisser, tordre, déchirer parfois, maculer d’encre aussi puis reprendre en photo en provoquant une perte d’information avec un effet de vitesse rendant l’image floue. L’image de départ devient méconnaissable. Ces images cherchent le moyen d’incarner l’absence, le vide, le manque… autant dire qu’il s’agit d’une quête Prométhéenne puisque dès que les moyens mis en œuvre pour dévoiler l’invisible semblent en place, celui-ci disparaît, se dérobe au regard.

Le flou me permet de captiver le regard du spectateur et de conceptualiser l’idée d’un au delà, monde inaccessible dont les clefs ne seront offertes qu’à notre dernier jour de vie. «  C’est l’invisible inclus dans le visible qui est source d’émotion et de création  : il appelle et déjoue la parole ».1 Comme Claudia et Roméo Castellucci, je me considère comme étant un pèlerin de la matière « la matière est l’ultime réalité. C’est la réalité finale qui a pour limites la respiration et la chair du cadavre. C’est un pèlerinage que nous faisons dans la matière ».

Dans la série « des baigneurs », le temps semble suspendu. « L’homme face à l ‘étang ( étant ?) » rappelle le tableau de Friedrich « Le moine face à la mer ». Nous avons, d’un côté, la fragilité du corps humain, soumis à la dégradation du temps, et, de l’autre, l’immensité de la Nature nous faisant prendre conscience de notre vulnérabilité. L’image apparaît avec un effet de grain, celui de la toile, accentué par l’encre qui semble se diffuser en s’évaporant. Les effets de ponçage accentuent ce grain qui interroge le fait que nous ne soyons que poussière. « L’homme est suspendu dans le présent, entre le passé et l’avenir, comme sur un rocher entre deux gouffres : derrière lui, devant lui, tout est ténèbres. »

Le flou permet l’évasion de l’esprit, il laisse sa place au rêve…


Un rêve éveillé

Bien qu’il ne s’agisse pas d’images tirées stricto sensu d’une conscience intérieure fantasmée, puisqu’à l’origine, mes tableaux se font à partir de photos tirées de réels moments vécus, je recherche à semer le trouble dans l’esprit du spectateur.

L’aspect évanescent remet en question la netteté relative au monde réel et transporte l’image dans un monde onirique dans lequel il n’y aurait pas de consistance. L ‘image semble se dissoudre, laissant ouverte la limite entre le fond et la forme, comme pour suggérer l’idée que dans le rêve, les pensées sont plus libres.

« Le spectateur peut être interpellé par les halos lumineux qui semblent flotter dans le ciel des « paysages urbains ». Ces formes informes questionnent. Les phares de voiture deviennent de mystérieuses ombres lumineuses errant dans le ciel. Le paysage est alors transfiguré, il apparaît sous une nouvelle forme résonnant au mystère cosmique. A moins, là encore, que ce ne soient des paysages lunaires aperçus le temps d’un rêve ? La forme devient «  étrangère  », à la fois dans son écart par rapport à sa forme d’origine que l’on discerne avec difficulté et «  l’étrangéise  », lui retirant sa signification et la laissant à l’état de signe.

Dans la série « Nuit blanche », le dormeur est vu de haut, la vision horizontale classique du dormeur étant remplacée par une vision verticale. Le renversement provoqué par le changement de point de vu évoque la vision du rêve dans laquelle l’esprit est parfois amené à avoir le sentiment de voler. A moins que ce flottement au dessus de la figure ne soit le regard d’une âme errante qui, libérée de la pesanteur de son corps, aurait la capacité de se déplacer librement à travers de multiples dimensions spatio-temporelles…

Le travail en série me permet de jouer sur l’idée du déplacement dans le rêve. En effet, à partir d’une même photographie, je vais parfois recadrer l’image de manière à jouer sur des gros plans, sur des cadrages différents d’une même image. Ainsi, certains détails qui seraient invus dans un premier tableau, surgissent par la suite en gros plan, jouant ainsi sur un déplacement mental du regard qui, comme dans le rêve, serait amené à voguer d’un lieu à l’autre.

Dans le rêve,note Valéry, lorsque je dis : « je vois telle chose, ce n’est pas une équation que je note entre je et la chose(…) Mais dans le rêve, il y a équation. Les choses que je vois me voient autant que je les vois ».


La captation du regard

Ce que je recherche à travers mes tableaux, c’est la captation du regard.A travers l’épreuve du diaphane et du flou, l’image fascine le spectateur par sa beauté et paradoxalement soulève les monstres de l’angoisse liés à notre sort futur.

Bien que se donnant toute entière au regard du spectateur, mes images questionnent le temps du regard. Il y a évidemment un jeu tacite entre, d’une part, une vision de loin qui nous laisse appréhender l’image dans son ensemble et nous permet de percevoir une relation de mimésis et d’autre part, une vision de près qui couvrirait l’image d’ une sorte d’ invisibilité . Ainsi, vue de loin et malgré une image parfois très floue, le spectateur en reste convaincu, il s’agirait bien d’un paysage, d’un buste ou d’un pied « surgit de la muraille de peinture » comme cela pouvait l’être dans le chef d’œuvre de Frenhofer, héros de Balzac faisant surgir « d’un chaos de couleur, de tons, de nuances indécises, espèce de brouillard sans forme »… « un pieds délicieux, vivant,qui pétrifiait d’admiration tout ceux qui s’en approchaient ». L’absence de limite entre le fond et la forme , son effacement, sa disparition même lorsque l’on regarde de trop près nous étonne « approchez-vous, tout se brouille s’aplatit et disparaît, éloignez vous tout se recrée et se reproduit  ».

Le 2éme temps du regard serait alors un regard plus proche, un regard qui scrute et goûte à la picturalité de chaque morceau de peinture. Le spectateur semble pris au piège de la représentation, il est captivé, presque ensorcelé, hypnotisé. La pulsion scopique s’est emparée de lui.

L’épaisseur du diaphane, plutôt que de se constituer en barrière, serait une invitation à voir, à entrer dans l’intimité, dans le corps de la peinture. Tel un voile posé à la surface, le désir de toucher de son regard la peau de la peinture s’impose. « Jamais devant toujours dedans ».

La violente série sur les abattoirs provoque une ambiguïté que l’on pourrait attribuer à la figure de Méduse, « tantôt effroyable, et tantôt séduisante, tantôt attirante et tantôt repoussante, comme il en est de tout ce qui touche au regard et au sexe, de tout ce qui nous rappelle que nous devons mourir, ce fons origo, ce lieu de fascination continue et d’horreur, cette ligne de fracture, cette faille qui sépare en deux les vivants comme elle sépare les vivants et les morts ».1Comme l’animal qui dans son ondulation diaphane et irisée fascine le regard, elle est un piège fatal pour celui qui s’y risque étant « simultanément ce qui invinciblement attire notre regard et ce qui le fige, ce qui nous fascine et ce qui nous révulse » .

Je rêve d’une vraie image, d’une «Vera Icona » qui serait dotée du pouvoir intrinsèque de prendre vie, comme dans le mythe de Pygmalion. Un autoportrait de dos qui offrirait le potentiel d’une action mystérieuse dans le retournement de la figure… Magritte lui aussi semble en proie à ce rêve d’une figure prenant mystérieusement vie dans son tableau «  la tentation de l’impossible  », réalisé en 1928.

Même si la peinture ne sera jamais la vie même, ce qui m’importe, c’est de produire un effet suffisamment fort pour que le spectateur soit surpris et s’en approche « comme si elle avait quelque chose à nous dire »

Cette impression étrange serait en partie liée au faire que l’on ne parvient pas à qualifier : est-ce une Peinture ou une Photographie ?


Peinture ou Photographie ?

Il y a un mystère dans l’image, une incompréhension de l’ordre du magique quant à la technique. L’image serait-elle produite par alchimie ? N’oublions pas que du XVI ème au XVIII ème siècle, l’artiste est celui qui pratique l’Ars Magna soit l’alchimie.
La finesse de certains détails, du rendu des matières comme de l’étendue de sable dans un des paysages « Des baigneurs » ou les drapés dans la série « Nuit blanche » interroge.

L’image semble achéiropoiéte c’est à dire,non faite de main d’homme. Comme pour Vermeer, dont on sait qu’il se servait de la camera obscura pour réaliser ses peintures, les nouvelles technologies viennent en renfort de la technique.
« Non seulement Vermeer, mais bien d’autres grands peintres du XVe siècle, ont dû secrètement utiliser des astuces de lentilles et de miroirs pour mener à bien leurs effets de photoréalisme.» nous explique David Hockney dans son ouvrage « Savoirs secrets : Les techniques perdues des maîtres anciens »
Cependant, le procédé demeure secret. L’artiste alchimiste ne révèle pas son processus. Qu’en serait-il d’un magicien qui viendrait à expliquer ses tours ?

Dans mon travail, je n’hésite pas à jouer de l’ambiguïté quant au statut de ces images. La multiplication d’un même motif, le grand réalisme, l’apparition parfois de pixels confèrent à ces images un statut de photographie . Pourtant, chaque tableau porte en lui une picturalité forte et unique. Il s’agit bien d’encre sur toile avec parfois un travail de techniques anciennes et de glacis. Les toiles sont souvent mises sous chassis..

Ce que je recherche à travers mon travail, c’est la limite entre photographie et peinture, je cherche à explorer les frontières entre ces 2 médiums? Où s’arrête l’un pour commencer l’autre ? Je me sens assez proche de Valentina Murabito, qui utilise une technique particulière lui permettant non seulement d’exposer la lumière sur du papier mais aussi sur des supports aussi variés que le bois, le béton, les murs. De plus, par un savant dosage de produit chimique , elle peut aussi modifier ses photos à la main…chaque expérience restant une entreprise hasardeuse. Elles se demande « Si je franchis la limite que se passe t’il ? Est ce encore de la photographie ou déjà de la peinture?Mon objectif serait que l’on supprime les frontières entre peinture et photographie. »