Palinopsie

Trouble de la perception visuelle caractérisé par la persistance anormale ou la réapparition des images après disparition de celle-ci.

La figure est là mais s’efface, laisse place à la trace de sa présence sans quitter totalement la scène.

Comme une résurgence photographique du passé qui tente de se frayer un chemin vers le présent, ou bien au contraire une réminiscence mentale qui s’estompe sans totalement disparaître, mais dont on ne parvient plus à saisir les contours. La sortie de l’oubli semble incomplète.

Les effets de flou anonyment les figures devenues Fantômes, mettant le réalisme à distance . Mais le grain, la lumière, les indices laissés par le mobilier, le décor, les vêtements nous transportent dans une époque dont on ne perçoit plus que le halo nostalgique irradiant les figures fantomatiques dont la présence devient évidente et centrale. Elles sont des images rétiniennes persistantes, l’effraction d’instants passés enfouis. On ne sait si elles se fixent ou s’estompent, mais leur instabilité leur redonne vie.

Le tableau a une évidente dimension photographique, mais Jihane Khélif entretient avec son modèle un rapport profondément intime. Elle installe un dialogue avec une photo de famille qu’on imagine retrouvée dans un album familial. En la projetant sur la toile, l’artiste la transforme en matrice d’une image nouvelle, plus indécise et profondément personnelle. En perdant sa netteté, l’image photographique gagne en épaisseur, en chaleur ; par l’incertitude des contours, la douceur des formes, la patine des teintes, Jihane Khélif la transforme en impression, en sentiment d’un bonheur à la fois fugace et éternel.

Elle parvient ainsi à transcender la part profondément intime du motif en une charge émotive pour chaque spectateur qui convoque inévitablement ses propres fantômes à la table, et se trouve gagné par une nostalgie bienveillante.

Thomas Andre

Une cicatrice intemporelle

Qu’il s’agisse à l’origine de clichés personnels et autobiographiques ou de photographies puisées dans la presse ou sur le net, Jihane Khelif compose de nouvelles images questionnant sur le faire et le cheminement de l’œuvre. Les frontières entre dessin, peinture et photographie s’effacent. Vus de loin, le spectateur peut y voir des photographies, mais lorsqu’il s’en approche, il se rend compte de la matérialité de l’œuvre, de la touche, des effets de transparence, de la texture du support. Il en ressort troublé.

Par des cadrages surprenants, des points de vue souvent incongrus, l’artiste revisite le genre traditionnel du portrait dévoilant souvent les faiblesses du corps: corps hospitalisé,épuisé, endormi, violenté… Plane alors dans l’esprit du regardeur l’ombre de la mort dans une forme de vanité contemporaine.

Parfois, elle laisse place à l’inachevé, au flou, au vide ou à un graphisme vif poussant l’image au seuil de l’abstraction. L’imagination du regardeur prend alors le relais. Les cadrages jouent avec le hors-champs. Le spectateur est en suspens face à un questionnement sur ce qui peut se passer en dehors de l’image. Ses propres souvenirs pourront entrer en résonance.

Par la couleur, la lumière, les contrastes et le travail de la matière, elle fait vibrer notre regard.

Superposant cela à des thématiques souvent chargées émotionnellement et parfois polémiques, elle grave dans notre mémoire une cicatrice intemporelle.